COSMO-INFO n° 15
31 mars 2004
Z = 7 ! z = 10 !!
Les galaxies les plus lointaines jamais observées
Une équipe internationale, avec en particulier J. P. Kneib de l'Observatoire Midi-Pyrénées et du California Institut of Technology (Caltech), a récemment découvert une galaxie particulièrement lointaine. Ceci sera publié prochainement dans l'Astrophysical Journal.
La lumière émise par cette galaxie a un décalage vers le rouge (redshift dû à l'expansion de l'univers) proche de 7, ce qui suppose une distance de l'ordre de 13 milliards d'années-lumière de nous. Cette lumière a donc été émise alors que l'univers n'était âgé que de 750 millions d'années environ, soit 6 % seulement de son âge actuel (compte tenu des valeurs des paramètres cosmologiques généralement acceptées aujourd'hui)
Cette galaxie a été étudiée sur des clichés du Hubble Space Telescope pris par l'ACS (Advanced Camera for Surveys). Ces clichés de l'amas de galaxies Abell 2218 montrent que cet amas massif, relativement proche, fait office de lentille gravitationnelle pour des objets d'arrière plan, ce qui explique en particulier les images multiples et les nombreux arcs lumineux visibles. Mais cette "lentille" a également pour effet d'amplifier la faible luminosité des objets lointains. Le coefficient d'amplification est de l'ordre de 25 pour la galaxie en question. L'observation a été complétée par photométrie infrarouge au Keck Telescope de 10 m à Hawaï.
La structure observée semble être d'une taille maximum de quelques milliers d'années-lumière seulement, mais avec un taux important de formation d'étoiles estimé à 2 ou 3 masses solaires par an. Il semblerait par ailleurs que cette galaxie émette beaucoup plus de lumière ultraviolette que les galaxies proches, ce qui permet d'envisager des étoiles en moyenne plus massives et plus chaudes à cette époque. C'est une origine possible de la "réionisation" du milieu interstellaire, qui était neutre après sa formation, et qui a pu ensuite être fortement ionisé par les rayonnements UV intenses des premières étoiles.
L'amas de galaxies Abell 2218 fait office de lentille gravitationnelle pour une galaxie très lointaine, dont on a repéré trois images rouges et faiblement lumineuses, cerclées sur le cliché (C)NASA/ESA
Quelques jours seulement après l'annonce de cette découverte, une équipe franco-suisse dirigée par Roser Pello de l'observatoire Midi-Pyrénées, avec à nouveau la participation de JP. Kneib, a annoncé à son tour un nouveau "record" (voir A&A volume 416).
Grâce au VLT de l'ESO au Chili, ils ont pu observer une galaxie dont la lumière est décalée d'un redshift de l'ordre de 10. Ceci veut dire, toujours avec les mêmes hypothèses cosmologiques, que cette lumière a été émise il y a 13.2 milliards d'années, lorsque l'univers n'était âgé que de moins de 500 millions d'années.
De la même manière que précédemment, cette observation n'a été possible que grâce à une amplification gravitationnelle d'un facteur de 25 à 100 par l'amas de galaxies Abell 1835. (ce qui aboutit au même résultat que si l'on utilisait un instrument d'une ouverture de 40 à 80 m !)
Là aussi, la galaxie semble avoir une taille réduite, une masse limitée à quelque millions de masses solaires et serait le siège d'un intense processus de formation d'étoiles. Est-ce une "brique" primitive dont l'agrégation avec d'autres va permettre de former les galaxies telles que nous les connaissons ?
Image ISAAC/VLT en infrarouge proche de l'amas de galaxies Abell 1835. A droite, dans l'agrandissement, la faible image de la galaxie lontaine a été cerclée. (C) ESO
Il est possible également que nous disposions là des premières observations de la fin des "âges sombres", période de la formation de l'univers située entre l'émission du rayonnement cosmologique, 380000 ans après le Big Bang, et avant la formation des premières structures lumineuses constituées d'étoiles et de galaxies.
Tout ceci sera sans doute conforté et précisé assez rapidement, mais il faudra certainement attendre une nouvelle génération d'instruments comme le futur James Webb Space Telescope pour avancer de manière significative dans la connaissance observationnelle de cette époque.